Les oeuvres

P E I N T U R E S 

Liminaire

On peut estimer à environ1000 toiles et 2000 dessins ou aquarelles réalisés par Gilbert Pastor mais il n’a jamais donné de titres à ses tableaux ni daté ses œuvres. Les formats, non plus, n’ont pas été consignés, très peu de photographies ont été prises durant ses cinquante années de peinture et aucune liste de ses nombreux acquéreurs n’existe…
Nous avons pris la décision de ne rien légender dans ces pages mais de donner quelques grandes directions pour les lecteurs.
On peut globalement regrouper ses différents sujets en six parties : Les Reliquaires, assemblages en bois contenant de multiples insertions, recouvrent sa première période de 1960 à 1976. Viennent ensuite les Portraits et les nus dont les premiers furent exécutés sur bois et dont les encadrements composés de tissus et matériaux divers constituent un ensemble indissociable de la peinture ; on situe ces œuvres de 1970 à nos jours car le peintre a entretenu une relation permanente aux portraits imaginaires. Toujours à Marseille, vers 1975 les Scènes de rues et Maisons closes voient le jour sur une dizaine d’années environ et seront reprises partiellement ces dernières années. Ensuite, et cela constitue la partie centrale et majeure de l’œuvre, les huiles sur toile que l’on nommera Intérieurs occupent une vaste période commencée à Aups dans le Var vers 1975 et demeurent un sujet fondamental. Les premières Natures mortes apparaissent dès 1980 ainsi que les Paysages et demeurent également un élément du travail actuel. Toute la série de dessins qui recouvre la quasi-totalité des sujets cités ci-dessus, ont été exécutés le plus souvent sur des papiers  Ingres ou Canson au moyen de fusains, pastels, cire…  Ils ont été réalisés tout au long du travail de l’artiste.
Les formats des toiles de la première période varient de 100x150cm jusqu’à 150x200 et se sont réduits de moitié ces dernières années. Les dessins mesurent le plus souvent 30x40cm ou 50x60 et certains ont atteint le format Jésus ou Grand Aigle.

Nous souhaitons que ces brèves précisions vous aident à traverser l’œuvre de ce peintre singulier et que, malgré  l’absence de légendes, la visualisation des oeuvres sur ce site, entourées de silence, vous fasse partager l’esprit dans lequel elles ont été créées par l’artiste.


Reliquaires



Idoles

Les premières œuvres de Gilbert Pastor, les Reliquaires, mêlent idoles païennes (primitives) et iconographie chrétienne. L’encadrement réalisé par l’artiste selon un assemblage de matériaux divers prolonge la scénographie frontale des icônes qui semblent surgir de la matière elle-même. Ces réalisations de jeunesse puisent leur inspiration dans un rituel archaïque de mise au monde (et mise à mort). Elles sont nées de la rencontre, décisive pour le parcours de Gilbert Pastor, de l’artiste d’origine russe Boris Bojnev, familier du primitivisme russe, nourri aux arts populaires et aux traditions de la peinture d’icônes. Beaucoup d’œuvres de cette période fondatrice ont été dispersées ou détruites.























Portraits / Personnages




Visages dans la nuit
Dès les années soixante et tout au long de son parcours, Gilbert Pastor a représenté des visages. Des visages et non pas des portraits. Car il n’y a pas de modèles ni, de la part de l’artiste, volonté d’imitation. Les visages surgissent de la nuit avec l’insistance d’une apparition. Souvent de petit format, condensés autour du regard qui semble les absorber, ils se donnent à voir à la limite de l’apparition et de la dissolution. Ces visages d’enfants, et surtout de femmes, font songer à la tradition des portraits funéraires de l’art copte mais aussi aux portraits de Goya, que Pastor, lui-même d’origine espagnole, a intimement visités. Comme ces derniers, ils transmettent la lumière de l’invisible, de l’en dedans[1]. Si certains éléments comme les coiffures semblent se référer aux Menines d’un Velasquez, ce n’est là qu’anecdote. Les visages de Pastor ne s’inscrivent dans aucune temporalité définie et s’éloignent de toute imitation. Tout se passe comme si le peintre cherchait à éliminer l’écran qui s’interpose entre le visage de l’autre et celui du regardeur, et à créer un face-à-face miraculeux qui effacerait, le temps d’une rencontre privilégiée, les artifices de la représentation. [2]



[1] Jean-Pierre Sintive, Pastor, les apparitions de la matière, Propos éditions /Editions Unes, 2013
[2] Itzhak Goldberg, Le visage qui s’efface, Hôtel des Arts, Toulon, 2008





































































Nus


Nus

Par le dessin d’abord, qu’il a pratiqué tout au long de son parcours, mais aussi par la peinture, Gilbert Pastor a exploré les « choses vues », et tout d’abord les nus (à l’origine ceux de l’atelier des Beaux-Arts de Marseille). Dans les dessins, particulièrement les grands dessins à la cire, le trait possède un caractère insaisissable, le contour fuit. Il se multiplie, s’efface et se reprend. Figures silencieuses du désir, apparitions souvent fantomatiques, les nus de Pastor n’en sont pas moins construits et le fruit de longues études anatomiques. L’artiste traque un moment imprévisible, juxtapose des fragments, établit un montage fortuit. Comme si tout fonctionnait selon un mode vibratoire. Paradoxalement, qu’elles soient lovées sur un drap de lit, dressées de manière frontale ou déjà évanescentes,  ces figures, souvent ambivalentes, sont immobiles et possèdent la force tranquille et inquiétante de l’hallucination, comme si elles demeuraient les seules survivantes d’une « fête galante » ancienne, perdue et retrouvée dans quelque repli de la mémoire.   




















Scènes de rues / Maisons closes



































Intérieurs

Chambres obscures
Les premiers Intérieurs, scènes (saynettes) réalisées dès les années soixante, sont peuplés d’étranges figures sans âge qui émergent d’une nuit sans repères ni d’espace ni de temps. Le thème des chambres obscures, et par périodes, celui des maisons closes, n’a cessé d’interpeller l’artiste. A la nuit d’origine, il substitue peu à peu une subtile et mystérieuse lumière qui éclaire de l’intérieur le même espace indéterminé, monde fermé et ouvert à la fois, traversé de figures évanescentes et cependant persistantes qui tiennent de l’apparition. Ces Intérieurs, qui transmettent le trouble d’une « inquiétante étrangeté », ont inspiré de nombreux auteurs, poètes en particulier, qui ont engagé un dialogue avec les œuvres de Gilbert Pastor et avec l’artiste lui-même.
Je n’aurais jamais écrit « Chambre intérieure » si je n’avais rencontré dans ta peinture ce que tu appelles, si justement, des « intérieurs »…Mais, au fait, qu’y a-t-il dans ceux-ci ?
c’est une forme intérieure de personnages qui se diffuse (…) Ce sont peut-être des corps qui existent (sûrement ?) mais ce sont surtout des apparences qui se diffusent dans l’espace. (…) C’est-à-dire qu’il y a une sorte de « chose » diffuse dans la matière même de la peinture, et c’est cette « chose » qui fait le tableau…

Jean-Louis Giovannoni  et Gilbert Pastor, entretien, 13 mars 2012, médiathèque de La Trinité (06)







































































































































Natures mortes


Natures-mortes
Les natures mortes de Pastor ne transmettent pas d’histoires. Une bouteille, des bois ronds ou ovales chargés de lumière et posés sur une table recouverte d’un drap aux plis sculpturaux qui a tout d’un reposoir créent un espace d’immobile recueillement. Réalisées seulement à partir de la fin des années 1980 – ces œuvres s’apparentent curieusement aux premiers travaux de l’artiste. Sans doute sont-elles nées de la rencontre de l’œuvre de Morandi, découverte au musée Cantini à Marseille. Les objets isolés et hiératiques que l’artiste représente, scandés et séparés les uns des autres, ont chacun une présence en soi. Dans un espace déserté, sur fond dénudé, les scénographies de Pastor, délivrées de tout élément parasite, ne laissent échapper aucun bruit. Alignés et traités selon une architecture rigoureuse qui leur donne une allure monumentale, ces objets de l’univers quotidien semblent étrangement lointains. Dans l’invitation à la peinture que propose l’artiste, le regardeur se trouve confronté à la chose dans son opacité, présence matérielle et concrète, et tout à la fois objet de contemplation.









































Paysages

Paysages  d’incertitude
Les paysages de Pastor se situent dans un ailleurs. Dépeuplés, ou bosquets trop aériens pour être réels, ses paysages portent la même solitude et la même singularité que les intérieurs [1]. Sombres, ils le sont presque toujours, comme dans cet instant crépusculaire qui précède la nuit. Mi nocturnes, mi brumeux, dans l’immobilité qui les caractérise et le frémissement qui les traverse tout à la fois, ils sont paysages d’incertitude. Le dessin, hésitant lui-même dans la forme à donner, se fait porteur d’une atmosphère poétique vacillante dont les ingrédients ne sont autres que l’ombre et la lumière. On ne saurait dire si le mystère qui les remplit est dû au vague souvenir, à moitié estompé, de la campagne romaine d’un Poussin ou d’un Claude Lorrain ou à la sensation qu’ils échappent à toute détermination géographique. En d’autres termes, Pastor, loin de se limiter à une description de la nature, en effectue une transposition imaginaire.




[1] Frédéric Valabrègue, « Anatomie du désir », in Jean-Pierre Sintive, Pastor, les apparitions de la matière, Propos éditions /éditions Unes, 2013
















Les textes thématiques qui ponctuent cette page ont été rédigés par Anne Bernou, 
co-organisatrice de l'exposition de Seillans.